Paroles de chibanis

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Paroles de chibanis

Publié le 29 mai 2018
Modifié le 29 mai 2018
Résumé actualité
Un projet de la Maison des habitant-es Surieux et ses partenaires met en lumière des témoignages et les conditions d’existence actuelles de chibanis, ces migrants venus en France pour un emploi, réduits pour un certain nombre au silence de leur retraite. Ce travail de mémoire donnera lieu à des temps de valorisation.
Paragraphs

La Maison des habitant-es Surieux mène un travail important et sensible sur les chibanis. Ces anciens travailleurs immigrés venus d’Afrique du Nord, après la Seconde Guerre mondiale, parfois appelés “vieux migrants”, ont généralement passé la majeure partie de leur existence en France, malmenés entre un emploi qui bien souvent les a dépréciés, un pays d’origine qu’ils ont quitté — un arrachement fréquemment sans possibilité de retour —, une famille éloignée quand ils correspondent encore avec leurs proches, un pays d’accueil qui les oublie au moment de leur retraite. Ils ont contribué à la construction et au développement de la France, mais beaucoup vivent dans des contextes socio-économiques précaires, disposant de ressources financières limitées.
A Echirolles, les 212 locataires de la résidence Adoma — ex-Sonacotra — sont majoritairement des chibanis. Leur situation se dégrade au fil de l’âge. Aux sentiments d’isolement et de solitude, voire d’abandon, s’ajoutent parfois une ignorance des droits, des problèmes de prise en charge de la santé… Certains passent des séjours de plusieurs mois dans leur pays natal et leur famille, mais la procédure réglementaire de l’allocation de solidarité aux personnes âgées les oblige à des allers et retours intermittents. “Une assignation entre deux pays, qui fait naître un sentiment de discrimination touchant à leur liberté”, dit Charlotte Van Thorre, agent de développement social à la Maison des habitant-es Surieux.

Ecoute et considération

En 2016-2017, la structure de quartier a mis en œuvre un projet “Histoire(s) d’immigration” révélant des parcours de chibanis, en partenariat avec le collège Jean-Vilar, la Maison des écrits, le service de lutte contre les discriminations du CCAS, l’association La petite poussée, la société Adoma, avec des habitants et habitantes. Il a permis de réunir trois générations, des échanges riches en témoignages qui tordent le cou aux clichés et préjugés, esquissent un apport interculturel. Une vidéo retrace ces rencontres, une valorisation a eu lieu dans le cadre de la manifestation Cité Plurielle en mars 2017.
Le projet prend un nouveau tournant, avec de nouveaux partenaires comme la MJC Desnos, l’association Accord’Ages, de nouveaux habitants et habitantes encore. Des “portraits vidéo” ont été réalisés, intitulés “Hier, Aujourd’hui, Demain”, ainsi que des textes au travers d’ateliers d’écriture. “Cette mémoire mérite d’être approfondie pour aller plus loin dans la mise en lumière de la place et de la vie actuelles des chibanis, en ne parlant pas que du passé, en créant des liens de solidarité entre générations, en envisageant des solutions collectivement et un réseau d’entraide composé d’habitants volontaires et de professionnels”, expliquent Charlotte Van Thorre et Nadia Majdi, de la Maison des écrits.
Des temps de valorisation sont prévus à la résidence Adoma avant l’été, à la MJC Desnos à l’automne lors d’une soirée cinéma, à la Maison des écrits dans le cadre des Mardis de l’écriture de la saison 2018-2019 ; un livret doit également paraître avec un DVD, faisant écho à un premier ouvrage qui avait été édité par la Ville et le CCAS dans les années 90, au titre évocateur, “De l’autre côté de la rue”.
“Les chibanis ont besoin de liens sociaux, d’attention et de considération, d’accompagnement, ne serait-ce que pour aller chez un médecin, disent deux participants au projet. Certains ne parlent que très peu le français. On ignore bien souvent ce qu’ils ont vécu ou vivent, les jeunes ne savent pas. Les chibanis ont besoin d’écoute et de partager leurs sentiments.”

JFL